RETRO ETUDIANT - C’était
quoi être étudiant au Moyen Âge? Quelles étaient les filières les plus
prestigieuses ? Pouvait-on faire grève ? Pourquoi la fac de médecine était-elle
décriée? Et si on faisait un petit saut à l’université médiévale de Paris ...
Cocoricooooooo! Ce matin, ce n’est pas votre
smartphone qui vous réveille. C’est un coq. Un coq! Il est là, à quelques
mètres de votre couche, et il vous regarde fièrement. Vous commencez à
paniquer. Votre dos vous gratte affreusement. Vous avez dormi sur de la paille.
Vous allez hurler lorsqu’un jeune homme déguisé en Jacquouille la Fripouille
vous lance: «Salve amicissimi! Quando vadis ad studium generale?»
Miraculeusement, vos souvenirs de classe de latin
resurgissent et vous arrivez à traduire l’interrogative: «Bonjour cher ami, à
quelle heure vas-tu à l’université?»
Halluciné, vous levez les yeux et tombez sur le
calendrier julien. Vous êtes en l’an de grâce 1265!
Une grève pour l’amélioration des conditions de vie étudiante
Après avoir bu un lait de chèvre, vous suivez votre
étrange ami qui vous emmène à l’université. Pour la première fois à Paris, vous
respirez l’air de la campagne. Vous avancez à grands pas vers ce qui vous semble
être devenu aujourd’hui le Collège de France. Là, une foule d’étudiants se
masse devant une maison.
Sur une pancarte il est écrit: «les étudiants de la
fac de droit sont en grève». Ahuri, vous demandez à votre ami si ce n’est pas
une blague. Celui-ci vous répond avec aplomb: «Tu ne sais pas que depuis la
bulle pontificale de Grégoire IX de 1231, les maîtres et les élèves ont le
droit de cesser leurs activités en cas d’injustices? Là, les jeunes protestent
car l’encadrement du prix des loyers pour les étudiants n’est pas respecté». En
entendant cela, vous souriez. Déjà à cette époque, chercher un logement
étudiant à Paris n’était pas une sinécure.
Jour de grève. Vous en profitez donc pour vous balader
avec votre guide dans le quartier latin et autour de Notre-Dame. Vous avez
mille questions à lui poser. Quelles sont les différentes facultés? D’où
viennent les étudiants? Quels sont les diplômes? Le taux chômage chez les
jeunes après les études est-il élevé?
Un peu étonné par cette inculture, votre accompagnateur
se propose de vous faire un gros récapitulatif.
La faculté de médecine est la moins cotée de toutes
«Déjà, il faut savoir qu’il n’y a pas de lieu précis
pour l’université. En fait, elle se situe un peu partout. On trouve des
enseignements dans des établissements religieux, d’autres dans des salles
louées ; parfois même on enseigne dans les sous-sols des tavernes.
A Paris, il y a quatre grandes facultés. La première
est celle des arts libéraux. Tout le monde commence par là. On y entre à l’âge
de 14-15 ans et on en sort à 21 ans. On y apprend la rhétorique, la
linguistique, la grammaire, les mathématiques, l’astronomie ou encore la
musique.
La deuxième faculté est celle de médecine. Entre nous,
c’est la moins cotée de tous. Déjà, elle est interdite aux religieux car elle
impose d’être en contact avec la chair et le sang. Et c’est une discipline qui
peut devenir lucrative. Et ça à Paris, capitale de la réflexion théologique,
c’est assez mal vu...
La faculté de droit a plus de prestige. Mais
attention! Il ne s’agit que du droit de l’Église. Pour tous ceux qui veulent
étudier le droit civil, il faut aller jusqu’à la fac de droit d’Orléans.
Jusqu’à 20 ans d’études pour avoir le droit d’enseigner
Et enfin, la plus renommée des facultés est celle de
théologie. C’est là que je voudrais enseigner. Mais on ne peut devenir maître
qu’à l’âge de 35 ans! Cela veut dire que pour quelqu’un qui commence son cursus
à 15 ans, il en a pour vingt années d’études!
Pourquoi est-ce si long? C’est, entre autres, parce
qu’il y a très peu de supports pour étudier. Peu de livres et pas de tablette
bien sûr...La plupart du temps il faut tout mémoriser. Cela prend du temps de
connaître la majeure partie de la Bible par cœur...
C’est au Moyen Âge que sont créés le Baccalauréat, la Licence, la
Maîtrise et le Doctorat
Pour ce qui est des diplômes, il y a environ un
demi-siècle, en 1179, le Concile de Latran III a mis en place la «licence
d’enseigner». C’est un grade conféré par les évêques. Comme l’Église est
présente partout en Occident, ce certificat garantit l’universalité du niveau
de l’enseignement.
Mais il n’y a pas que la licence. Dans notre XIIIe
siècle, la communauté universitaire met progressivement en place ses propres
critères. C’est ainsi que l’ancêtre du baccalauréat (avant la licence) a été
instauré, et que la maîtrise ou le doctorat (après la licence) donnent eux
aussi le droit d’enseigner.
Paris est le centre intellectuel de l’Occident
Au niveau du nombre d’étudiants, c’est toujours
compliqué à évaluer. D’après les bruits qui courent, il y en aurait entre 3.000
et 4.000, pour une population parisienne de 200.000 habitants. Une chose est
certaine, c’est qu’il y en a qui viennent de toute l’Europe. On y croise des
Italiens, des Espagnols, des Anglais, des Polonais et même des Scandinaves.
Avec Bologne, Paris est la capitale de la culture en Occident.
Cet emballement pour le savoir a deux raisons
principales. D’abord, l'administration royale a besoin de main d’œuvre. Si au
tournant du XIIe et du XIIIe siècle, Philippe Auguste a reconnu officiellement
l’existence de l’université, ce n’est pas seulement pour faire un cadeau à la
communauté savante. C’est aussi parce qu’il avait besoin de lettrés et de gens
compétents pour bâtir son administration. Les Capétiens recrutaient abondamment
parmi les gradués.
Et puis il y a aussi la libido sciendi, l’amour de la
science, qui pousse les étudiants à s’instruire. Ainsi, les élèves viennent se
mettre sous la tutelle de maîtres prestigieux. Abélard au siècle dernier ou
encore Albert- Le-Grand en ce moment: ce sont de véritables stars.
Aller à l’université c’est être assuré d’un emploi à la sortie
Dans une société où l’on compte 80% d’illettrés chez
les hommes, le simple fait d’étudier assure quasiment de trouver un emploi.
Mais comme les études sont longues, elles sont réservées à une certaine
catégorie de la population. Cependant, il arrive que de bons élèves repérés
très tôt soient envoyés à l’université de Paris afin d’y poursuivre leurs
formations. Robert de Sorbon, qui vient de créer le collège de la Sorbonne,
était fils de paysan. Il est parvenu à devenir Chapelain et conseiller de St
Louis. Comme quoi le système méritocratique peut marcher...
Bon à présent je dois filer à mon cours de luth. Vale
condiscipule!»
Article réalisé suite à un entretien avec Antoine
Destemberg, maître de conférences en histoire du Moyen Âge à l’université
d’Artois. Il est l’auteur de «L’honneur des
universitaires au Moyen Âge», publié chez Puf en 2015.
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